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Litige sur la répartition de la maîtrise d’ouvrage des travaux sur le réseau public de distribution d’électricité

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Un litige est né entre le Syndicat Intercommunal d’Energie d’Indre-et-Loire (SIEIL 37), autorité concédante de la distribution publique d’électricité, et son concessionnaire, la société ERDF, sur l’identité du maître d’ouvrage des travaux de raccordement nécessitant une puissance supérieure à 250 kVA, principalement dans les zones d’aménagement concertées et les lotissements.

En conséquence, la société ERDF a saisi le Tribunal administratif d’Orléans d’un recours en interprétation du cahier des charges de la concession afin qu’il dise que la maitrise d’ouvrage de ces travaux lui appartenait. En défense, le Syndicat demandait au Tribunal de dire que, dans les zones d’aménagements concertées et les lotissements, le seuil de 250 kVA devait s’évaluer au niveau de chaque client à titre individuel et non de l’ensemble. Par un jugement en date du 21 mars 2013 (TA Orléans, 21 mars 2013, Electricité Réseau Distribution France, n° 1203199), le Tribunal a reconnu que la maîtrise d’ouvrage revenait à la société ERDF au profit des clients sollicitant une puissance supérieure à 250 kVA mais en donnant du terme « client », une interprétation conforme à la demande du Syndicat. C’est ce jugement dont était saisi la Cour, qui devait ainsi statuer, par l’effet dévolutif de l’appel, sur le recours en interprétation du contrat déposé par la société ERDF.

L’article 36 de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz laissait aux autorités concédantes de la distribution publique d’électricité la faculté d’assurer la maîtrise d’ouvrage de certains travaux sur les réseaux publics de distribution selon les termes qu’elles arrêtent dans le cahier des charges des concessions. Ces dispositions sont désormais codifiées à la fois à l’article L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales et à l’article L. 322-6 du Code de l’énergie. Ainsi, aux termes de ce dernier article, les autorités concédantes ont « la faculté de faire exécuter en tout ou en partie à leur charge, les travaux de premier établissement, d'extension, de renforcement et de perfectionnement des ouvrages de distribution ». Dès lors, si la loi impose aux collectivités ou à leur groupement de concéder l’exploitation des réseaux de distribution publique d’électricité à un gestionnaire de réseau bénéficiant d’un monopole dans sa zone de desserte exclusive, elles ont la faculté de conserver la maîtrise d’ouvrage des travaux sur le réseau concédé. Ainsi, par exception au droit commun de la concession, le concessionnaire n’est pas investi automatiquement par le contrat de la maîtrise d’ouvrage de l’ensemble des travaux sur le réseau concédé.

Dès lors, c’est au stade de la négociation du contrat de concession que la maîtrise d’ouvrage des différents travaux sur le réseau est répartie entre le concédant et son concessionnaire. Si les cahiers des charges des concessions sont majoritairement conclus sur la base d’un modèle négocié au plan national par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et la société ERDF, la répartition effective de la maîtrise d’ouvrage est fonction de chaque situation locale et les critères de répartition peuvent varier. On notera néanmoins qu’usuellement, de nombreuses autorités concédantes conservent la maîtrise d’ouvrage des travaux portant sur les réseaux situés en zones rurales, pour lesquels elles peuvent bénéficier du dispositif d’aides pour l’électrification rurale récemment remanié par la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 et le décret n° 2013-46 du 14 janvier 2013 relatif aux aides pour l’électrification rurale.

Dans ce cadre juridique ouvert, des litiges ont régulièrement lieu entre concédant et concessionnaire pour déterminer qui dispose de la maîtrise d’ouvrage de certains travaux. Deux cas peuvent être distingués, soit que le contrat reste muet pour certaines catégories de travaux, soit que le critère de répartition choisi par les parties prête à interprétation.

Illustrant le premier cas, la Cour administrative d’appel de Lyon était saisie, dans un arrêt du 8 janvier 2013 (CAA Lyon, 8 janvier 2013, SIEEEN, n° 11LY02198), d’un recours en interprétation visant à déterminer qui de l’autorité concédante ou du concessionnaire disposait de la maîtrise d’ouvrage des travaux de raccordement au réseau des producteurs d'énergie en l’absence de toute stipulation expresse. Interprétant le contrat de façon globale, la Cour a estimé qu’il en résultait qu’« à l'exception des droits que l'autorité concédante s'est expressément réservés, les parties à la convention ont entendu confier au concessionnaire la réalisation de l'ensemble des ouvrages nécessaires à l'exploitation du service de distribution d'énergie électrique ». Elle en a tiré pour conséquence que faute de stipulation contractuelle confiant expressément à l'autorité concédante la maîtrise d'ouvrage des travaux de raccordement au réseau des producteurs d'énergie, celle-ci incombait à son concessionnaire.

Ce faisant, la Cour a interprété le cahier des charges comme concédant par principe la maîtrise d’ouvrage des travaux sur le réseau au concessionnaire. Sous couvert d’une interprétation systémique, c’est-à-dire prenant en compte les stipulations contractuelles en supposant qu’elles forment un tout cohérent, la Cour a en réalité fourni une lecture fonctionnelle du contrat, en considérant que le mécanisme global de la concession devait conduire à considérer que le concessionnaire est investi, par principe, de la maîtrise d’ouvrage des travaux sur le réseau. Une telle lecture ne met néanmoins pas fin à tous les litiges qui relèvent, comme c’est le cas dans l’arrêt commenté, du second cas, c’est-à-dire ceux où les parties sont en désaccord sur l’interprétation du critère de répartition stipulé au contrat.

La répartition de la maîtrise d’ouvrage peut parfois être effectuée par des stipulations dont les parties se rendent compte, au cours de l’exécution du contrat, qu’elles ne font pas la même lecture. En l’espèce, les parties étaient d’accord sur la ligne de partage de leur maîtrise d’ouvrage respective, à savoir selon que la puissance à raccorder serait de plus ou moins 250 kVA. Le cœur du litige imposait néanmoins de déterminer qui faisait office de « clients » dans les zones à aménager et les lotissements, puisqu’il s’agissait du terme employé dans l’article 4 de l’annexe 1 du cahier des charges et sur lequel les parties étaient en désaccord. C’est donc cette notion, qui avait une signification équivoque, qui nécessitait l’interprétation du juge.

En première instance, relevant que le cahier des charges ne comprenait aucune définition expresse du terme « client », le Tribunal avait néanmoins relevé qu’au regard des autres stipulations dans lesquelles le terme est employé, le client devait être regardé comme l’usager final du service public de distribution d’électricité, et non le lotisseur ou l’aménageur. Pour interpréter le contrat, il refusait de s’appuyer sur des dispositions réglementaires extérieures distinguant les notions de client et d’usager. Ce faisant il recourait à une interprétation systémique, tentant de comprendre la notion en litige par référence à d’autres stipulations contractuelles, le sens des unes devant s’éclairer par celui des autres, et en dehors de toute référence soit aux textes extérieurs, soit à la finalité des travaux en cause.

Tel n’est pas la démarche suivie par la Cour administrative d’appel de Nantes dans l’arrêt commenté. Dans ses conclusions conformes sur cet arrêt (aimablement fournies par la Cour), le rapporteur public, E. Gauthier se référait, pour l’essentiel, à la finalité des travaux en cause telle qu’elle ressortait des dispositions du Code de l’urbanisme. Il estimait en effet qu’au regard du dispositif des zones d’aménagement, il paraissait « concrètement difficile, voire impossible, pour aménager une zone, y compris en électricité, d’attendre de connaître les besoins de chaque usager final ». La Cour a suivi cette approche en jugeant que « compte tenu de l’objet des travaux de raccordement au réseau de distribution électrique et du moment où ces travaux doivent nécessairement intervenir dans une zone d’aménagement concerté ou dans un lotissement, le titulaire de la maîtrise d’ouvrage doit, à raison de ces travaux, être déterminé par référence à l’aménageur ou au lotisseur qui en sollicite la réalisation et qui doit, par suite, être regardé comme le client au sens de l’article 4 de l’annexe 1 au cahier de charges et non par référence à l’usager final du service public de l’électricité ». Dès lors, selon la Cour, c’est le gestionnaire de réseau qui est maître d’ouvrage des travaux lorsque la demande de raccordement estimée par l’aménageur ou le lotisseur porte sur une puissance, pour l’ensemble de la zone ou du lotissement, supérieure à 250 kVA. La méthode d’interprétation retenue par la Cour est donc totalement différente de celle du Tribunal, puisqu’elle ne se base plus du tout sur les stipulations contractuelles en cause mais sur l’objet des travaux qui y sont mentionnés.

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