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Validation du monopole de la société Enedis

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La commune de Lyon a approuvé par une même délibération du 15 février 1993 une « convention de concession pour le service public de la distribution de l’énergie électrique sur le territoire de la commune de Lyon » comprenant une « convention de participation financière d’E.D.F. pour les investissements réalisés par la Ville en matière d’éclairage public », et autorisé le maire « à signer lesdits documents ».

Le conseil municipal de Lyon a approuvé par une délibération du 19 novembre 2012 un « avenant n°4 au contrat de concession pour le service public de distribution d’électricité du 18 février 1993 » et autorisé le maire « à signer ledit document ».

Les requérants, usagers du service public de la distribution d’électricité et, pour l’un d’entre eux, élue au conseil municipal de la Commune de Lyon, sollicitaient du Tribunal administratif l’annulation de la délibération n° 2012/4996 du 19 novembre 2012 par laquelle le conseil municipal de Lyon a approuvé l’avenant n° 4 au contrat de concession ainsi que la décision de signer cet avenant. Ils mettaient notamment en cauise le monopole des sociétés ERDF et EDF pour la distribution publique d’électricité et la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente.

En matière de distribution publique d’électricité, l’article L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales consacre le rôle d’autorités concédantes des collectivités territoriales. Pour autant, le choix du concessionnaire fait l’objet d’un encadrement par la loi. En vertu de l’article L. 111-52 du Code de l’énergie, la société ERDF et les entreprises locales de distribution sont désignées gestionnaires des réseaux publics de distribution d’électricité dans leur zone de desserte exclusive. Le caractère local du service se heurte ainsi à l’obligation imposée par la loi, c’est-à-dire par l’Etat, de concéder les réseaux existants à un opérateur déterminé pour lequel le monopole est cristallisé dans sa zone de desserte. Dans ce cadre, la société ERDF dispose d’une exclusivité en matière de distribution publique d’électricité dans sa zone de desserte exclusive qui couvre dans les faits 95 % des réseaux de distribution du territoire métropolitain continental. De la même façon, s’agissant du service public de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente, l’article L. 121-5 du Code de l’énergie désigne la société EDF pour assurer cette mission dans sa zone de desserte exclusive. Dès lors, en pratique, il résulte de l’article L. 334-3 du code de l’énergie que les cahiers des charges des concessions ont un double objet dès lors qu’ils concèdent à la fois le service public de la distribution et de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente et qu’ils sont consignés ou réputés tels par les deux sociétés. Dans la décision commentée, le Tribunal a rappelé que « les sociétés ERDF et EDF disposent en vertu des articles L. 111-52 et L. 334-3 du code de l’énergie, d’un droit exclusif pour la conclusion de concessions portant sur la distribution d’électricité et sa fourniture au tarif réglementé ».

Les requérants entendaient mettre en cause la validité de ce double monopole sur le fondement duquel aucune mesure de publicité et de mise en concurrence ne s’impose pour l’attribution d’un contrat de concession portant sur la distribution et la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente. Ils se fondaient pour cela sur les grands principes du droit de l’Union européenne. En effet, tels qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union, les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui consacrent la liberté d’établissement et de prestation de services au sein du territoire de l’Union européenne, impliquent le respect des règles de non-discrimination, d’égalité de traitement et de transparence (CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, affaire C-324/98). Par ailleurs, si l’article 106 du Traité prévoit que l’application des règles du Traité aux entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général n’a lieu que « dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie », ces dispositions sont d’interprétation stricte. Ainsi, l’exception à la mise en concurrence ne sera justifiée que s’il est établi que l’application des règles de la concurrence ne crée pas seulement une difficulté, mais rend impossible l’accomplissement de la mission d’intérêt général. Suite à l’arrêt Coname (CJCE, 21 juillet 2005, Coname, affaire C-231/03), des interrogations sont apparues sur la compatibilité de la législation française en matière de distribution d’électricité ou de gaz aux règles du Traité et une partie de la doctrine a ainsi considéré que les concessions de distribution publique d’électricité ne pouvaient être attribuées sans publicité préalable si cela n’est pas justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général (Voir L. Richer, « La distribution d’électricité dans le droit des concessions (1906-2006) » in Mélanges Labetoulle, Paris, Dalloz, 2006, p. 750 ; G. Bouquet, E. Buttery, « Vers la fin d’un droit de préférence accordé aux concessionnaires de transports et de distribution d’électricité et de gaz », AJDA, 2006, p. 964 ; P. Sablière, « La réattribution des concessions de distribution publique d’électricité et de gaz », Contrats publics, n° 88, mai 2009, p. 28). Ce sont notamment ces interrogations dont les requérants entendaient se faire l’écho.

Pour les requérants, faire reconnaître l’invalidité des monopoles dont font l’objet les services publics dont la concession était prolongée par l’avenant en cause aboutissait à faire reconnaitre que celui-ci ne pouvait avoir été conclu sans mesure de publicité, voire de mise en concurrence, en application du principe de transparence. Le Tribunal administratif a cependant choisi de conforter le monopole de la société ERDF avec une motivation minimaliste en jugeant que les dispositions de l’article 24 de la directive du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, qui prévoient que les États membres « désignent, ou demandent aux entreprises propriétaires ou responsables de réseaux de distribution de désigner, pour une durée à déterminer par les États membres en fonction de considérations d’efficacité et d’équilibre économique, un ou plusieurs gestionnaires de réseau de distribution », pas davantage que « les stipulations des articles 49, 56 et 106 paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne font obstacle à ce que les Etats membres confèrent des droits exclusifs à certains opérateurs pour la conclusion de conventions de concession de distribution publique d’électricité ». Il a ajouté que « ces dispositions et stipulations n’imposent pas plus que les gestionnaires des réseaux de distribution soient désignés après une mise en concurrence ». Ce faisant, le juge a entendu conforter le monopole du gestionnaire de réseau en livrant une interprétation classique de l’article 24 de la directive du 13 juillet 2009.

En effet, la question s’était déjà posée de la compatibilité à ces dispositions du monopole confié sans délai par la loi à la société ERDF et aux entreprises locales de distribution. Saisie de la légalité de la délibération autorisant le maire de Paris à conclure un avenant prolongeant la concession de la ville de Paris de quinze ans, la Cour administrative d’appel de Paris avait jugé, à propos des dispositions de l’article 13 de la directive du 26 juin 2003, rédigée en des termes identiques à l’article 24 précité, que l’absence de durée dans l’attribution des droits exclusifs aux gestionnaires du réseau « est sans effet sur leur compatibilité avec les dispositions précitées de la directive, dès lors que, comme cela a bien été le cas en l’espèce, il appartient à chaque délégataire (sic.), sous le contrôle du juge, de fixer un terme à la concession » (CAA Paris, 25 février 2013, Claustre, n° 12PA00593). Autrement dit, le juge administratif considère que la désignation sans durée des gestionnaires de réseau par la loi ne rend pas ce monopole incompatible avec les dispositions de l’article 24 dès lors précisément que c’est au stade de la négociation de chaque contrat de concession qu’une durée est fixée. La Cour administrative d’appel de Nancy a depuis tiré les conséquences de ce raisonnement en exerçant un véritable contrôle des investissements mis à la charge du concessionnaire afin de déterminer si la durée du contrat de concession de distribution d’électricité peut se justifier (CAA Nancy, 12 mai 2014, M. Mietkiewicz et autres, n° 13NC01303 et suivants.). Dans la décision commentée, le juge a prolongé cette jurisprudence en estimant que « les requérants n’établissent pas que la durée de la concession, prolongée par l’avenant de vingt à vingt-cinq ans, (…), aurait été fondée sur des données économiques incertaines et n’aurait pas été proportionnée au regard des considérations d’efficacité et d’équilibre économique ». Le juge a pris en compte les considérations d’efficacité et d’équilibre économique de la concession comme l’article 24 le permet pour contrôler la durée de la désignation des gestionnaires de réseau. Néanmoins la motivation retenue dans le jugement ne permet de connaître les éléments concrets qui permettent de la justifier.

Quoi qu’il en soit, le raisonnement permet d’assurer la compatibilité du monopole du gestionnaire de réseau aux dispositions de l’article 24 de la directive et de considérer implicitement que ces dispositions ont entendu adapter les règles du traité à la gestion des réseaux de distribution d’électricité, comme cela apparaissait déjà dans l’arrêt Claustre. Le raisonnement juridique peut s’autoriser du texte de l’article 24 s’agissant de l’activité de distribution. Reste néanmoins que le même raisonnement ne peut être transposé s’agissant du second objet de l’avenant concerné, à savoir la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente. Ce faisant le Tribunal a conforté le monopole de la société ERDF mais est resté curieusement silencieux sur celui de la société EDF, pourtant également mise en cause dès lors que l'avanenat en cause proproger un contrat qui avait deux objets et deux concessionnaires. 

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