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Cabinet d'avocat à Paris

Compétence administrative pour réparer les dommages causés par le déplacement d’une ligne électrique

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Faisant partie des zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, le territoire de la Guadeloupe n’avait pas été concerné par la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz.

C’est la loi n° 75-622 du 11 juillet 1975 qui a procédé à la nationalisation de la production, du transport, de la distribution, de l'importation et de l'exportation de l'électricité dans les départements d'outre-mer. Codifiant celle-ci, l’article L. 111-52 du Code de l’énergie précise que c’est l’entreprise Electricité de France (EDF) qui est gestionnaire du réseau de distribution dans les départements d’outre-mer, dont la Guadeloupe.

C’est dans ce cadre que, par une convention conclue le 18 mars 1992 entre la société EDF et la société agricole de la Guadeloupe, une servitude portant sur deux pylônes servant de support à une ligne électrique d’une tension de 63 000 volts a été instituée sur des parcelles appartenant à la société agricole de la Guadeloupe. Le département de la Guadeloupe ayant acquis la parcelle grevée de cette servitude en vue d’y construire un collège, des travaux d’excavation furent entrepris entraînant le descellement du pylône. Si la société EDF a d’abord procédé à des travaux de mise hors tension pour des raison de sécurité, la ligne due finalement être déplacée. Le litige en cause dans la décision commentée portée sur la prise en charge financière des travaux de dérivation de la ligne.

Par une requête en date du 29 mars 2006, la société EDF sollicitait du Tribunal administratif de Basse-Terre la condamnation le département de la Guadeloupe à lui verser une indemnité de 687.062,66 euros en réparation du préjudice lié au déplacement du pylône. Le Tribunal fit droit à cette demande par un jugement en date du 2 décembre 2011 (TA Basse-Terre, 2 décembre 2011, Electricité de France, n° 0600285). Ce jugement a nénamoins été infirmé en appel par la Cour administrative d’appel de Bordeaux estimant que le litige en cause ressortissait à la compétence des juridictions judiciaires (CAA Bordeaux, 27 mai 2014, Département de la Guadeloupe c/ Electricité de France).

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat n’a pas modifié l’état du droit, reprenant dans un considérant de principe la solution dont avait fait application la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Ce n’est donc pas la règle de droit qui était en cause ici ; c’est au stade de la qualification du fait à l’origine du dommage que le Conseil d’Etat va diverger du juge d’appel. En effet, alors que la Cour avait pu juger que le dommage provoqué par le déplacement du pylône supportant la ligne électrique ne résultait pas du descellement accidentel de cet ouvrage, le Conseil d’Etat a estimé, à l’inverse, que le dommage « résultait de l'exécution de travaux publics entrepris pour la construction d'un collège » et ressortissait par suite à la juridiction administrative. Il a donc annulé l’arrêt et renvoyé l’affaire à la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Cette solution, qui peut paraître surprenante, vient en réalité confirmer la volonté du juge administratif de restreindre la compétence du juge judiciaire voulue par le législateur.

En effet, il faut rappeler que la solution retenue par le Tribunal des conflits en 1970 visait explicitement à interpréter de façon restrictive la dérogation à la compétence de la juridiction administrative pour connaitre des dommages de travaux publics posée par l’article 12 de la loi du 15 juin 1906. Alors que le texte de la loi se contente de réserver au juge judiciaire l’indemnisation des préjudices directs, matériels et certains causés par l'institution des servitudes, le Tribunal des conflits va opérer une distinction entre deux types de dommage dont la connaissance ressortit à deux juges distincts : les dommages prévisibles lors de l’institution de la servitude sont indemnisés par le juge judiciaire alors que les dommages accidentels, c’est-à-dire indirectement causé par la servitude, sont indemnisés par le juge administratif. Cette distinction visait ainsi à cantonner le juge judiciaire à une compétence d’attribution et à conforter la compétence administrative pour l’ensemble des autres dommages.

En pratique, la frontière entre les deux catégories de dommages – et donc entre les juridictions compétentes – peut paraître parfois flou. Ainsi, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a pu juger que les dommages « tenant à la perte de récolte, au coût de reconstitution d(e) marcottières et à celui de remise en état (d’une) couche de terre arable, sont la conséquence directe et accidentelle » des travaux de reconstruction d’une ligne électrique à 63 000 volts et ressortissent à la compétence de la juridiction administrative (CAA Bordeaux, 31 décembre 2013, SA RTE EDF Transport, n° 11BX01949).

En l’espèce, le Conseil d’Etat a choisi de faire prévaloir une interprétation stricte de l’attribution de compétence au juge judiciaire par la loi et de faire céder cette attribution lorsque le déplacement d’une ligne est lié à l’exécution de travaux publics (extérieurs aux services publics de la distribution ou du transport d’électricité). Comme le relevait en effet le rapporteur public R. Victor, dans ce cas, « le litige portant sur la répartition du coût de la dérivation de la ligne présente une dimension administrative marquée » ; c’est la raison pour laquelle il s’interrogeait sur la possibilité de « déroger à la dérogation ». Il reconnaissait néanmoins qu’une approche en termes de « bloc de compétence » au profit de juge judiciaire était également envisageable. C’est pourquoi il avait conclu qu’il appartenait au Tribunal des conflits de trancher la question. Mais le Conseil d’Etat l’a pleinement suivi dans son raisonnement et a fait l’économie d’un renvoi au Tribunal des conflits pour consacrer nettement la compétence administrative dans ce cas de figure.

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